Voyage au pays du Trégor
Traversée à marée basse vers l’île Baenaleg dans les Côtes-d’Armor, sur les terres submersibles découpées entre Port Blanc et Plougrescant.
Voyage au pays millénaire du Trégor, parmi les îles de Roverc’h et du Milieu, entre bancs de galets, anses ambrées et rochers mordorés.
Lumière particulière armoricaine et estivale, picturale.
Terres inhabitées, étrangères et désirées.
Terres singulières, poussières d’écume, tourbillons de calme et d’intensité mêlés.
Terres obstinément sauvages et libres, sujettes à émerveillement sans cesse renouvelé.
Temps replié, répété et compté où l’eau redevient terre et où les chemins se dessinent à nouveau, entre archipels et estuaires.
Chemins imprégnés de la couleur de ce mouvement vital, chemins tracés par le temps, écrits par l’eau et la terre, chemins de ressource et de méditation.
Sentiments de présence suprasensible dans ce lieu déserté et lunaire, onirique, à l’étrange et envoûtante minéralité.
Milliers de pierres de granits ou de schistes, de roches feuilletées et altérées, de galets déposés ça et là par la mer, ressassés, ensablés, récupérés, ensevelis, réapparus, accidentés, déformés, transbahutés dans une folle danse de ressac ininterrompu de marées successives.
Roches-matière figée entre terre et eau, gorgées de vie et d’humidité, interprètes au long court d’une chorégraphie répétée à l’infinie.
Pierres striées, façonnées, rongées par le sel et le sable mêlés.
Pierres ciselées suspendues entre ciel et mer.
Pierres érodées, métamorphiques, pierres sculptées par le temps et par l’espace.
Vous déambulez seul dans ce lieu magique, quasi mystique, sur la terre imprégnée de l’eau reculant, où la lumière du jour et de la nuit se fondent et se confondent en offrant ces mille nuances de gris, d’ocres et de bleus crépusculaires.
L’atmosphère étrange qui s’y dégage vous enveloppe dans un espace intemporel, ni passé ni présent, un ailleurs qui fut et qui demeure gravé dans ces pierres ancestrales et immuables.
Parmi ce chaos de pierres réapparues encore dans ce reflux, dans cet univers surnaturel de variété chromatique également austère, lunaire, hostile, tu évolues avec Lui, non pas main dans la main mais l’un devant l’autre, marchant ensemble du même pas, dans une direction commune et, sans le savoir, magnétique.
Instant où le paysage vous rentre dedans. Osmose avec les éléments…
Puissance de la pierre qui semble subir cette rythmique abyssale mais qui en est le chef d’orchestre, qui se révèle à toi et t’attire.
Pierre suprasensible qui vous parle et saisit son bras puis le tien, qui vous lie et vous entraîne dans cet univers méconnu, métaphysique.
Devant toi, Il ralentit son pas et s’arrête ; il allonge le bras en se baissant et saisit une des pierres couvrant l’étendue infinie devant vous.
Au même moment, tu as repéré une autre pierre que tu ne ramasses pas.
Il se retourne et te montre celle qu’il a choisie. A la vue de celle-ci, sans réfléchir, tu reviens sur tes pas et saisis celle que tu avais repérée sans te baisser, parmi les milliers d’autres.
Tu reviens vers lui pour lui montrer ta pierre, parce que tu pressens que celle qu’il te présente et celle que tes yeux ont choisi sont semblablement abimées, cassées, ouvertes.
Vous pouvez observer ensemble la singularité de vos deux pierres fracassées et incomplètes qui laissent apparaitre leur intériorité : des petits lits de roches vertes, quartz ou mica, en partie préservées du vent, du sable, du sel et de l’eau.
Vous pouvez toucher la douceur de cet intérieur intime qui a attiré votre attention, distinct de la surface extérieure brune et brute recouverte d’un voile livide.
Pierres balayées par le vent, usées par les marées, préservées par le temps.
Pierres sculptées par les éléments.
Pierres lointaines, pierres d’aventure, pierres fécondes de vos âmes errantes, pierres bercées par le vent de vos pensées, creusées par l’eau de vos désirs, riches de vos passages et de vos messages.
La même force qui vous a poussé à saisir les deux pierres se poursuit en vous et vous traverse comme un liquide cristallin et pur, vous intimant l’ordre de les rapprocher encore et de les assembler car elles forment les deux faces ou les deux destins d’un tout.
Elles composent une seule et même pierre, indéniablement, offrant l’une à l’autre un miroir identique puissamment chargé de présages et de promesses.
Ainsi, au moment où vous les juxtaposez, elles s’emboîtent parfaitement, comme si elles n’avaient attendu que votre présence pour s’unifier et se confondre, comme si votre présence symbolisait à elle seule la communion, la fusion, l’harmonie sacrée recherchée, attendue et trouvée.
Ne pouvant vivre l’une sans l’autre, malgré les âges et contre les marées les ayant initialement séparées, les deux facettes de cette même pierre vous invitent à les entendre pour s’associer à jamais entre vos mains, puis dans votre univers, ici ou là-bas, à jamais.
Une renaissance, un retour aux sources, au mystère originel, une seule et même trace dans le destin de vos deux vies réunies.
Pierres intimes, pierres révélant votre intériorité, pierres secrètes organiques et énergétiques.
Pierres d’une beauté farouche, impénétrables, exilées.
Tu es restée longtemps fragmentée, morcelée avant que ta pierre interne, sous l’effet d’une main invisible, s’aimante et retrouve sa partie isolée, esseulée, son âme soeur qui te cherchait aussi.
Voyage au pays du Trégor, trésor intrinsèque flamboyant et fécond.
En votre présence ancrée, les deux facettes de votre pierre, désormais unifiées, personnifient le pacte intime de votre connexion surnaturelle et cosmique.
Réunies, elles vous envoutent et vous aimantent encore davantage, matérialisant votre fascination mystérieuse de l’un pour l’autre, qui vous définit et qui vous dépasse.
Voyage au pays du Trégor, qui n’est pas un paysage mais une porte ouverte vers l’intérieur de soi.
Voyage en terres sauvages et lunaires qui n’est pas un ailleurs mais un chemin, celui vers votre pierre intérieure.
Voyage au coeur des îles du Milieu et d’ailleurs, qui ne sont pas un archipel dépeuplé et oublié mais un passage insolite, confidentiel et familier vers une terre commune imaginée.
© Textes et photographies: Lorraine Thiria/All rights reserved
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UN AUTRE REGARD 