Le goût de la nuit

Le goût de la nuit

La nuit ouvre les portes du rêve, de l’imaginaire, de la création. Elle détient un pouvoir de transformation.

Elle utilise l’espace et le temps et libère nos sens. De nos perceptions modifiées, peuvent alors surgir les ombres, les pulsions, les fantômes, l’invisible devenant visible et prenant forme.

La nuit éclaire une autre façon d’être au monde. Elle est l’espace des rêves, du somnambulisme et de la créativité, celui de nos métamorphoses personnelles, celles de notre corps, de notre moi et de toutes ses versions.

La nuit est lieu étrange et onirique, un passage, une transition.

Parce qu’elle est un espace d’hétérotopie à explorer (« espace concret hébergeant l’imaginaire »), elle ouvre la voie d’un chemin intérieur libre. 

Elle révèle une vision lumineuse et une forme particulière d’éveil au monde, une énergie créatrice insoupçonnée.

Le goût de la nuit est une aventure artistique et créative, une rencontre de l’inconnu, un territoire à découvrir et à préserver.

C’est la raison pour laquelle Sarah et moi avons souhaité sonder la nuit d’une façon originale et onirique, en commençant le voyage par l’exploration de mes rêves et de mon somnambulisme.

A partir de photographies, de vidéos et de notes transcrites par Cyril, spectateur et témoin des scènes, nous avons cherché à traduire en mots et en images cette expérience de « déplacements » nocturnes et de réalisations inconscientes dans l’espace et le silence de la nuit.

Que signifie le geste somnambulique ? Qui est Somnambula ? Comment et pourquoi s’agite-t-elle dans l’obscurité et la densité de la nuit ?

Notre travail artistique est un échange fécond d’idées et de perceptions, d’images et de mots. Ce magma collaboratif, aussi riche et incandescent que mes nuits, a permis de mettre en lumière puis en forme une double idée originale : la réalisation d’une « poésie visuelle » (le court-métrage) et l’écriture d’un « documentaire écrit » (le livre).

Ce mélange de genres, qui n’en est pas un, est une allégorie des rêves et de l’état somnambulique, rappelant à qui veut l’entendre, que les frontières entre conscient/inconscient, rêve/réalité, et entre les divers domaines artistiques, sont poreuses et flottantes.

Et parce que ces frontières ne sont pas fixes ni figées, elles permettent d’expérimenter la fluctuation, le déséquilibre et le désordre. Elles autorisent à échapper aux normes, à chercher sans limite et à douter sans faille, afin de pénétrer et de puiser dans l’espace de la créativité.

Ouverts et non sclérosés, curieux et excluant les conventions et les cadres contraints, ces couples magiques et mouvants d’images et de mots entendent révéler l’ambiguïté de la nuit, faisant surgir sa part d’ombre et sa part éclairée aussi.

Les images, comme les mots, ont une force qui modifient les perceptions, les angles de vue, et la relation au temps. Ils ont le pouvoir d’ancrer des sensations, une musicalité, des vibrations, un espace où vibrent les sons et les songes.

Si les images sont un point de départ, elles sont aussi une empreinte qui permet de déplacer le regard.

Elles ont la capacité d’activer un mécanisme inconscient, ce que Léonard Cohen nommait : « la fissure (qui) fait entrer la lumière ». Par où passe la lumière ? Choisit-on d’ouvrir ou de refermer la porte sur ce que nous voyons ? Reste-t-on dans la nuit ? Préférons-nous sa part d’ombre et/ou sa part éclairée?

Notre collaboration mère/fille donne une version de la lumière que nous puisons. Elle offre un regard sur nos images sans langage, sur nos rythmes, nos sons et nos couleurs, sur ce qu’elles transmettent et suggèrent, sur les émotions qu’elles créent. 

L’écriture et la lecture que nous en faisons nous sont personnelles, voire intimes, et ne sont que propositions. Libre à chacun de voir dans le noir et de laisser entrer sa propre lumière…

Cette expérience créative a nourri notre monde intérieur et nous a encore rapprochées, non seulement dans notre relation filiale mais aussi dans nos univers artistiques, séparés et commun. Elle est pénétrante et prometteuse de projets à venir.

Au delà des perceptions, les images nous ont permis de questionner la création artistique dans sa relation à l’inconscient, et de donner un sens à notre démarche, et plus largement à notre geste, à notre manière d’être au monde.

Comprendre ce que la nuit nous a révélé…

Prenant vie dans la densité de la nuit, nos images nous ont donné envie de tisser des liens avec chacun de vous, dans l’existence de fils invisibles qui nous relient tous.

© Textes et photographies: Lorraine Thiria/All rights reserved

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