
Prendre corps : Symbiote
Présenter le travail de Sarah revient à m’extraire de ma posture de mère sans m’extraire de ma pose, celle à laquelle elle m’a conviée dans le cadre de son expérimentation photographique et plastique.
Il s’est donc agi de décaler mon regard, de changer d’axe tout en restant concentrée et partie prenante au processus de création de ma fille.
Inversion intéressante des rôles, où ma fille me fait naître par l’image et engendre par mon intermédiaire son rapport au corps et à la vie…
L’expérimentation qu’elle propose la définit pleinement, depuis l’origine : elle évolue, de questionnements en recherches, dans cet univers infini du corps, issu du corps, du mien originellement, prenant ses racines en lui pour mieux s’en affranchir et créer.



Retour aux sources donc, et dépassement.
Le corps comme support premier, le corps comme lieu de vie et de protection, comme lieu d’expérimentations, intérieures et extérieures, comme nid, comme enveloppe, comme frontière, comme déchéance, souffrance et tourments. Le corps comme fil conducteur subtil, comme lien intime avec soi-même et avec l’autre.
La fascination de Sarah – pour ne pas dire son obsession – pour le corps dans toutes ses formes et tous ses états, lui donne accès à une infinité d’expérimentations artistiques : le corps est dessiné, peint, encré (et ancré), découpé, cousu, décousu, photographié, filmé, moulé, sculpté, recherché sous toutes ses coutures.
Nul hasard de rencontrer la couture, d’ailleurs, dans l’univers créatif de Sarah, qui entretient avec le corps un rapport charnel, physique, tactile. Le corps est travaillé dans ses lignes, ses points, ses fibres, et dans la matière, comme une seconde peau.
Le plâtre devient vivant sur l’empreinte du buste moulé, le vêtement de mousse se dresse et s’affranchit de sa structure de fer, les fils métalliques modelés s’érigent et prennent leur autonomie pour devenir sculpture symbiote.
L’osmose des matériaux et des idées jaillissants crée un univers autant physique que psychique, humain et végétal, organique et minéral. Aucune limite si ce n’est celle de tracer un parcours, une forme de cheminement dans sa relation au corps, corps réel et corps fantasmé.
Le corps imaginé, le corps ressenti, évolue et s’exprime, au gré des recherches, par une représentation définitivement plastique.
Il se révèle initialement à travers les dessins, les encres qui s’étalent, s’étirent et s’étoffent de fils et de membranes que Sarah tisse, noue et dénoue au gré des formes que sa main trace.
Elle invente des lignes de corps qui se muent en lignes d’irrigation, en fluides, en racines.
Le corps s’éveille aussi par la vidéo puis par la sculpture qui créent un mouvement, une énergie vitale, un geste, une expression empirique nouvelle.
En fusion avec ses propres créations, le corps de Sarah s’estompe pour ne laisser que l’empreinte, sa sculpture symbiote qui prend vie au fur et à mesure que s’efface le corps premier.
Toujours inventif et attentif à la forme, son oeil s’attarde sur ces chemins, ces branches et racines (de terre et de fer, d’eau et de sève, de mousse et d’argile ) qu’elle construit, coud, assemble, ça et là par le dessin et la photographie, ça et là par la sculpture et la performance plastique pour ne pas fixer ni figer le corps.
Ne jamais le limiter, l’enfermer, le clouer ; mais au contraire le grandir, l’élever, le révéler, le tordre pour en proposer une version qui ne cesse d’évoluer avec le temps et les matériaux, avec ses choix libres et ses désirs novateurs.
Symbiote devient ainsi non pas l’aboutissement mais une trace de ce cheminement qu’elle emprunte dans cette quête du corps et de ses manifestations multiples.

Partant du mien (utilisé ici comme modèle, comme moule d’une partie de ses sculptures, là comme support photographique, comme ADN, comme terre mère qui donne vie, sort de terre, irrigue ses membranes et l’émancipe), elle accède à tous les autres et répète, quasi obsessionnellement, ses formes corporelles distinctes, déconstruites, évolutives, et infiniment vivantes.
Les racines comme point de départ et d’ancrage.
La terre et la mousse comme retour à la source.
Le corps comme enfantement d’elle-même et de son art.



© Textes : Lorraine Thiria/ Photographies : Sarah Ringrave/All rights reserved
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