New skin

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Performance théâtrale de Hannah de Meyer seule sur scène : expérience sensorielle globale, enveloppante, hypnotique.

Son corps est le réceptacle de ses émotions et son moyen d’expression, son véhicule. Lieu de passage et de tissage, il est au coeur de ses mouvements, de ses intentions, de ses tensions et de ses désirs. Il reçoit et il rend ; il donne et il perçoit ; il capte et se nourrit. En permanent échange, oscillation, migration, en dedans et en dehors. Un rythme, un frisson.

Son corps incorpore le monde extérieur et exprime tout autant son intériorité.

Il est à la fois infiniment grand – il est le monde des cellules qui l’habitent- et infiniment petit face à l’histoire de l’humanité et à l’univers.

Il est présent tout en étant relié à sa mémoire, car celle-ci est ancestrale, archaïque, emprunte de gestes tissés du passé, transmis et répétés, universels. 

Son corps est souvenance de la terre et de ses origines.

Son corps est résolument féminin ; les traces des femmes qui l’ont précédé sont inscrites génétiquement et le définissent, lui ouvrant toutes formes de libertés créatives, tout carcan aussi qu’il s’emploie à dépasser. 

Son corps est en mouvement, mobile envoutant.

L’eau glisse sur ce corps, à l’intérieur comme à l’extérieur et se répand sur toute la terre, communiant avec elle de toutes les manières possibles.

Electron libre et pourtant bien ancré, ce corps est poreux et immuable, perméable et inaltéré.

L’amour qui le pénètre, par ses pores et toutes ses cellules, est infini et cosmique.

Ce rapport au corps, à toutes ses particules, à son énergie et ses échanges avec l’extérieur est une relation sensuelle qui fait écho en toi ; il vient frapper à ta porte entrouverte grâce à deux événements intimes récents ressentis avec et dans ton corps, et plus généralement à des impressions plus vaporeuses qui émergent depuis peu et te donnent la liberté de mettre des mots sur des perceptions jusqu’alors incomprises.

Dans votre lit, au réveil, alors que vos corps sont encore emmêlés et chauds, imprégnés physiquement de la présence de l’autre, Lui t’a demandé si le fait de « s’épouser » continuellement (il faisait référence à votre quotidien où vos corps s’épousent, de jour comme de nuit, où vos corps communient et ne se quittent quasiment jamais) influait sur votre patrimoine génétique.

Autrement dit, il se questionnait sur le fait de savoir si la matière qui vous constituait, vos cellules, vos flux, vos énergies, à force d’être mêlées, étaient différentes de celles qui existaient lorsque vous vous êtes rencontrés.

Cette simple question provoque en toi des sensations physiques puissantes, de bien-être et d’union, de symbiose et de connexion, t’ouvrant sur une proximité nouvelle, originale et inexpérimentée pour vous deux.

Il a poursuivi et conclu que votre temps passé ensemble, votre entente physique et intellectuelle intense et intangible modifiaient bien, selon lui, votre patrimoine.

Vos cellules, porteuses de vos mémoires, en se renouvelant – et en mourant, laissant la place à d’autres- assemblent vos corps et créent des personnes différentes de celles que vous étiez lors de votre rencontre. 

Vos échanges immuables en tous genres ont été gravés sur des cellules nouvelles qui ont été façonnées grâce à vos flux et énergies réciproques et unis. 

Par ce dialogue intérieur et ces mutations, vous êtes désormais distincts sur la ligne du temps, et contradictoirement plus semblables dans vos espaces communs.

Tu as aimé ce rapport au corps, au temps, et à votre relation intime.

Au cours de la nuit qui a suivi, vos corps endormis et lourds ont senti une attraction imposante: vos particules se sont aimantées les unes vers les autres et ont franchi la lisière du sommeil et l’orée du rêve.

C’est ainsi que vos corps nus se sont trouvés avant même que vos esprits en aient conscience. 

Vos cellules ont convergé, vos flux se sont entremêlés et le grain de sa peau sous tes paumes, la douceur de son sexe durci, la chaleur de tes seins répondant à ses caresses, toutes vos particules ont formé un seul corps indissociable vibrant aux sons d’une même voix.

Tu as senti son corps puissant sur le tien ; tout l’univers, le cosmos étaient confondus dans cette étreinte qui vous dépassait.

Le lendemain, dans la brume blanchâtre dans laquelle tu as baigné une partie de ton jour – car tu ne voulais sans doute pas quitter l’harmonie et la douceur de ce moment intemporel- tu as repensé à cette communion.

Tu as réalisé que ce n’était pas les cellules nouvelles régénérées mais le processus, le mouvement vital qui les avait créées et transformées, en symbiose avec les siennes, qui t’importait et donnait sens à l’infinitude de votre amour.

Et pour la première fois, tu faisais un lien entre cet échange global physique et l’urgence vitale que tu ressens souvent de vouloir fusionner avec son corps à lui.

Tu découvrais que ce qui te dépassait – dépassait largement l’état de désir physique de son corps (et le désir de satisfaire vos désirs) – se conjuguait avec une transcendance, une  recherche inconsciente d’éternité des corps dans l’acte sexuel et la fusion complète.

Que cette prise de conscience te rendait plus sereine et plus apaisée car tu touchais du doigt ce que ton corps avait compris depuis longtemps déjà, depuis toujours, une perception universelle qui vous reliait tous et transcendait ton être et le sien.

Tu réalisais que ce désir d’acte sexuel avec lui, fréquent, évident, répété n’était pas un trouble quelconque mais la manifestation et le souhait de réalisation d’un climax absolu aussi vieux que le monde, ramenant ton corps, la sensation de ton corps, la place de ton corps dans une universalité et une humanité avec laquelle il faisait corps justement. 

Ton corps te ramenait à la Terre, au monde, aux autres, et tu ressentais puissamment cette appartenance.

Ton corps rentrait dans une danse, dans une transe, en présence du sien et tes cellules invisibles mais animées repéraient les siennes dans un état de reconnaissance et d’alliance flagrante, incontrôlée. 

Et cette impression t’éblouissait de l’intérieur, elle t’éclaboussait de toute part. Tu étais aussi liquide que l’eau présente dans ton corps, aussi dense que la terre que tu frôlais de tes pieds.

*.    *.    *

Tu repenses à votre expérience théâtrale unique, aux sensations des dernières minutes de cette performance, à cette comédienne dans la semi-obscurité, seule sur scène qui clame être nue face à l’Homme, face au public, et qui fait passer par son corps toutes ses motions, ses mots et ses émotions.

Tu ressens cette femme emplie de cellules qui se dilatent et se rétractent, cette femme qui fait corps avec son corps et devient organique : elle te parle et te renvoie à ton propre corps, cet espace vivant et naissant, à ta « nouvelle peau ».

Elle te parle de ton corps dont tu acceptes l’existence intrinsèque, l’étourdissement et l’abandon, la finitude.

Elle te parle de cet amour physique infini qui demeure mystérieux.

Elle te renvoie à la puissance de votre attraction incommensurable, métaphysique. 

Elle te renvoie au commencement.  

Peinture : Pierre Soulages

© Textes et photographies : Lorraine Thiria/All rights reserved

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