Intérieur jour Extérieur nuit
La porte de ton appartement s’est refermée et plus douloureusement celle de ton pays.
Celle de ton pays et plus globalement celle du monde.
Celle du monde et plus fermement celle du monde extérieur.
L’isolement s’est installé, la peur aussi.
Tu ne t’es cependant pas réfugiée dans l’espace confiné de tes vertiges.
Tu as laissé de côté ta claustrophobie.
Tu as pris sur toi et accepté que toutes les portes se ferment, simultanément…
Tu as admis que l’espace physique et symbolique, ton espace, se resserre, que l’air se raréfie.
Tu as compris que respirer différemment était préférable que de ne plus respirer du tout.
Tu as imaginé que tu puisses mourir d’étouffement, puis tu as violemment repoussé ces images.
Tu as donc commencé à te servir de ton imagination, et à réinventer une partie de ton monde.
Tu as plongé à l’intérieur de toi-même, là où les portes sont grandes ouvertes, et tu t’y es installée.
Si tu n’étais jamais restée bien loin, tu n’y avais jamais pénétré aussi profondément, aussi longtemps, au début plus par précaution que par plaisir, par protection plus que par envie, par nécessité plus que par hasard.
Tu t’es isolée au dedans car tu as senti que pour survivre dans l’espace réduit choisi par d’autres que par toi-même, tu devrais t’adapter, et que cette adaptation ne résulterait que d’un choix de ta part.
Tu as compris que tu détenais encore la liberté de ce choix-là, après avoir subi la privation d’une des libertés fondamentales essentielles: celle d’aller et venir.
La liberté de penser, de lire et d’écrire, celle de vivre à l’intérieur de ton appartement et à l’intérieur de toi-même ne t’était pas encore retirée.
Elle ne le serait que si ton corps empruntait la voie de l’hôpital, s’il cessait de respirer, s’il mourrait par étouffement.
Vivre de l’autre côté du miroir, tu ne l’envisageais pas, pas encore.
Ta vie sentimentale et maternelle, amicale aussi, ne voulait pas entendre parler de ce drame-là, de cet autre isolement, de cette nouvelle perte, de cette nouvelle porte que tu n’étais pas prête à franchir, quelle que soit l’idée ou la personne qui t’attendait peut-être derrière.
Tu as donc emprunté le chemin de toi-même.
L’avantage de connaître déjà une vie intérieure riche t’a permis non seulement de t’y sentir en parfaite sécurité car en terre connue, mais de pouvoir aussi prendre le temps d’étendre le terrain, de repousser les limites et d’abolir les frontières de ton espace.
L’idée était de déchiffrer et défricher d’autres terres car, passé le choc du confinement extérieur, tu as pu commencer à prendre conscience de l’étendue des découvertes possibles et à revisiter ta curiosité.
Tu t’es dit que tu avais une envie puissante de te déconnecter du monde et dès lors tu n’as plus subi l’enfermement. Au contraire, tu t’es appropriée une forme de liberté nouvelle, et nul autre que toi ne t’a dicté ses règles.
Tout s’est ainsi éclairé et tu as été prête à accueillir toute forme d’interrogations, d’introspections et de changements, en restant au plus proche de tes sensations.
Et, forte de ton intériorité nourrie et éclaircie, tu as pu l’y inviter, Lui, dans un mouvement de va-et-vient expérimental et enrichissant.
Tu as senti que ton rythme interne se calmait au contact du sien, que vos rythmes entendaient la même voix, qu’ils se mettaient au diapason.
Tu as su que vos réalités intérieures, vos imaginaires s’accordaient et que vos espaces personnels fécondaient un troisième espace, partagé et serein.
Tu as compris que ce dernier espace-là -tout comme ton espace intérieur- n’était pas et ne serait jamais confiné.
Au contraire, tu as éprouvé que votre espace commun se nourrirait sans cesse des terres intimes qui étaient les vôtres, riches et saines, fertiles et protégées.
Tu as vu que votre espace était une espèce en voie de disparition qu’il était vital de veiller et de mettre à l’abris.
Tu as senti que vous étiez capables de bâtir votre temple, hermétique aux folies ambiantes et aux attaques démentes.
Tu as su que vos capacités d’adaptation comme d’imagination n’étaient pas polluées par l’extérieur devenu ténébreux et funèbre.
Tu as su que vous pourriez ensemble affronter l’avenir, ce concept flou, flottant et désormais fragile.
Tu as su que vous pourriez aussi supporter les excès, les contradictions et les traumatismes d’un groupe d’individus appelé monde qui partait à la dérive, mutant à la vitesse de la propagation virale, sans retenue, sans clarté, sans vision, et sans retour possible ; un monde immobilisé et figé entre deux espaces et deux temps.
L’inconnu et l’étrange vous tendaient les bras, et vous demeuriez main dans la main, la porte ouverte, prêts à les accueillir, avec l’espoir lunaire et peut-être vain que la nuit extérieure s’illumine et que le jour se lève enfin.
© Textes et photographies: Lorraine Thiria/All rights reserved
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