Lumière photographique
Dans la lumière du matin, encore plongée dans ma brume enveloppante et tiède, je perçois la douceur des rayons rosés.
Nul besoin de mot pour exprimer mon bien-être : je ressens l’harmonie à travers le filtre des radiations lumineuses.
Je pourrais préparer ma palette et trouver rapidement les teintes qui répondent le mieux à ces sensations ; ou bien préparer mon cadrage et trouver l’angle qui trouve une exacte correspondance à ce sentiment de douceur vive.
Ma pièce de travail est envahie par le soleil levant qui trace des rais lumineux tout autant que des ombres répandues en lignes droites traversantes. Je me surprends à en observer toutes leurs subtilités, toutes ces droites parfois perturbées par un objet, un meuble, un obstacle qui, loin de les arrêter, modifient simplement leur trajectoire. La modification accidentelle de ces lignes à la fois flamboyantes et strictement géométriques crée une composition que Mondrian ou Kandinsky auraient apprécié et su traduire en peinture… Giacomelli aurait préféré transposer la crudité et la saturation de la lumière quand Penone aurait aimé « respirer l’ombre »…
Je suis quant à moi intriguée par la contradiction assumée de ces lignes : à la fois éclatantes et obscures, libres et ordonnées.
En me concentrant sur les rais de lumière et leur double énigmatique, je ne vois plus que des tableaux, des peintures ou des esquisses au graphite. En cherchant à créer leur transposition photographique, je lis avec mon regard, dans le cadre que je définis, une matière et un geste pictural intense, encore accentués par l’image du cliché que je crée.
Mon oeil capte une forme de langage débridé et novateur, déformation libre du réel, que je décortique d’autant plus facilement que je suis en pleine exploration de ce processus artistique.
Ma réalité est picturale, et je fixe, par la photographie, une image décalée et intensifiée de ce que je vois en peinture…
La lumière traversante de ce matin, bonheur de l’instant, révèle précisément ce mouvement, ce déplacement et ce changement de prisme… elle est la traduction de mon état et de mon geste.
Elle permet la traversée, le passage à l’acte.
Elle est le canal et l’émetteur, le chemin, le point de départ et l’aboutissement. Elle est la raison d’être, la cause et la conséquence.
Elle éclaire le voyage tout en créant les zones d’ombres. Elle questionne et impose, trouble et invalide, révèle et torpille. Elle est l’alliée et l’ennemi.
Ce matin, dans sa course ininterrompue, l’astre lumineux, entier et généreux, me traverse de ses rais et me bouleverse de ses radiations. Je me laisse envahir, comme ma pièce, sans crainte ni retenue, éblouie par les images picturales qu’il confie à mon oeil attentif et ému.
© Textes et photographies: Lorraine Thiria/All rights reserved
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