Abstraction attraction

Abstraction attraction

« Mes photographies révèlent ce que je vois en peinture ».

I-Abstraction

Ma photographie est un regard posé sur l’abstraction de la réalité. Comment, par l’oeil photographique, s’attacher à rendre abstraite une réalité concrète figurative ?

Ainsi, je cherche à marquer une empreinte suggestive picturale, née sans doute de mes affinités et de ma sensibilité pour la peinture dans l’art et pour l’art de peindre.

Mon regard se fixe donc dans une zone qui pourrait se situer entre peinture abstraite de la réalité, photographie de cette peinture abstraite et photographie de la réalité vue par l’oeil du peintre.

Le cliché des reflets sur l’eau du pont des amoureux d’Annecy (photographie ci-dessus) en est une bonne illustration : de prime abord, vous pensez à une peinture abstraite ; puis creusant le regard, et prenant le soin de reculer de quelques pas, vous vous rendez compte qu’il s’agit d’une peinture figurative de reflets sur l’eau. Vous découvrez des pleins et des vides, des liés et déliés, des aplats et dégradés, des touches colorées flottant sur l’eau et créant le langage pictural.

Puis le trouble se fait en se rapprochant à nouveau et en touchant le papier texturé : s’agit-il bien de la peinture elle-même ou de la photographie de la peinture ? Parfois difficile de savoir…

Le trouble semé, je révèle (comme la photographie est révélée par l’eau du bac) qu’il s’agit non pas d’une peinture, ni de la photographie d’une peinture, mais de la photographie de la réalité telle qu’elle aurait pu être peinte.

II-Work in progress

Mon geste artistique s’exprime de la manière suivante : 

Le filtre pictural accompagne toujours (et précède même) mon oeil photographique. 

Ainsi, me suis-je surprise à dire, en marchant en pleine nature et en m’émerveillant devant une lumière, une branche d’arbre, une mousse ou une pierre :  « Que c’est beau, on dirait une peinture… »… inversion révélatrice, démonstration parfaite du prisme ou du filtre que j’évoquais, vision avant tout picturale de la réalité, toujours insérée entre mon oeil et celle-ci.

Cette déformation, ou cette transposition de la réalité appartient à un processus créatif empirique qui a débuté il y a quelques années. 

Mon parcours artistique démarre par la peinture, et plus précisément par la reproduction de matières peintes. J’observe et j’apprends le geste pictural de représentation de la matière, aussi bien minérale que végétale, par la création en peinture de marbres et de bois. 

Je développe aussi une curiosité pour toute sorte de matières, qu’il s’agisse de murs délabrés dont la matière s’effrite, de débris de rouille, de cuivre vieilli, de miroirs piqués, de terre humide ou sèche, craquelée, de sable, d’eau, de pierre,…

Mon travail photographique à ce stade consiste en un matériau d’observation et d’inspiration pour composer une peinture.

Rapidement, je m’aperçois que pour saisir une composition, des lignes, des formes et des teintes, ma photographie ne peut se limiter à être un support à l’acte de peindre mais est une peinture à part entière, nourrissant et enrichissant le travail de création et d’exploration.

En peignant, je commence à m’affranchir de la photographie (utilisée comme support) pour m’orienter vers l’abstraction, et je me libère de toute technique apprise tout en restant influencée par le geste. 

A l’inverse, si la photographie devient progressivement matière à part entière, elle reste intrinsèquement liée à la peinture ; autrement dit, si elle se libère du simple travail de substrat pour devenir une composition pure, elle emprunte en permanence aux codes et à l’inspiration picturale.

Mon oeil photographique déconstruit la réalité pour en saisir son abstraction.

Poursuivant mes explorations, je m’aperçois que je décompose le filtre de la lumière et que je transpose la réalité dans un format artistique.

Plus précisément, c’est comme si je « pixelisais » la réalité (en isolant souvent un détail de matière) et étais traversée par une envie de traduire la réalité à travers un prisme artistique, pictural ou photographique.

A ce stade, je découvre que le second prisme, celui de la photographie, prend le dessus (mais est-ce vraiment le cas ?), et que la peinture vient s’interposer entre réalité et photographie.

Mes sens sont perturbés, ne sachant où se situer (mais doit-on savoir ? ) et les clichés qui me plaisent mêlent subtilement peinture et photographie, au point d’abolir toute frontière entre les deux (récemment j’ai même souhaité explorer la peinture sur une de mes photographies…). 

Ne souhaitant jamais être mise dans une case ou une catégorie, je poursuis mes recherches sans me fixer ni me situer, si ce n’est dans une zone nichée entre les deux, et même ailleurs, en permanente évolution et en mouvements chaotiques intérieurs.

J’ai néanmoins le sentiment depuis peu que je photographie ma vision picturale de la réalité, travaillant donc toujours à travers le filtre de la peinture…

Le geste photographique se poursuit, trouvant sa source dans le geste pictural et à travers son regard…

© Textes et photographies: Lorraine Thiria/All rights reserved

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