Exposition photographique – Regards croisés de Lorraine THIRIA et Sarah RINGRAVE




Nous sculptons notre mémoire dans la matière du corps.
Que le corps soit peau, pli, trace cicatricielle ou héréditaire, terre, matière ou maternel, il porte nos racines et nos mémoires.
Les deux séries photographiques présentées : « Mater Memoriae », argentiques sur papier ou numériques sur aluminium brossé, illustrent le rapport au corps, à ses mémoires et à la matière (mater et terre), à travers les regards croisés de Lorraine Thiria et de Sarah Ringrave.
De plis en creux, de courbes en lignes, de rides en grains de peau, d’ombres en lumières, elles créent une vision singulière de la matière qui les lie et les relie et qu’elles subliment pour la rendre sculpture vivante à travers la photographie.
Ainsi, leur oeil saisit la matière au plus près pour en révéler l’essence, jusqu’à perdre tout repère spatial et temporel et plonger dans la ride d’une plissure ou sur un pigment de peau.
Retour à la source, à la terre, au creux du pubis maternel, aux fils du temps, aux plis de la vie qui naît et qui bientôt n’est plus.
Les tracés impriment des lignes de vie qui se fondent et s’accrochent aux branches et racines imbriquées dans la matière. Celle-ci est porteuse de mémoires invisibles encodées au coeur de toutes ses strates et de tous ses états.
Lorraine et Sarah s’en saisissent toutes deux à plein corps, tour à tour photographe ou sujet, pour prendre corps dans le regard de l’autre et laisser traces, empreintes, langage et mémoires.
Sarah, en captant la matière organique : par la mise en scène du corps maternel recouvert de racines et de terre, elle propose une inversion intéressante des rôles où elle fait naître sa mère par l’image et engendre par son corps son rapport intime à la matière, à l’art et à la vie.
Les racines comme point de départ et d’ancrage.
La terre comme lieu de naissance, de création et de mort.
Le corps comme enfantement réel et sublimé, immuable et périssable, transfiguré par l’oeil photographique.
Et Lorraine, en explorant au plus près les sillons ébauchés par la matière et par ses plis drapés résolument plastiques.
Ainsi, son regard propose une sculpture antique et pourtant intemporelle de lignes graphiques et de tracés ombrés, jeux de lumière permanents réfléchis sur la matière devenue gravure vivante et rappelant les lignes de la main, mais aussi les rides du corps, et plus généralement toute trace humaine existant même en l’absence de corps physique.
Et lorsque les lignes se courbent et se tordent, elles deviennent noeuds et cordes, cordon ombilical, lien originel tissé de nos mémoires, lieu de naissance et de vie sans cesse renouvelée.
Le corps sublimé par ses pores et ses plis, support premier, devient lieu de vie et de protection, lieu d’expérimentations, intérieures et extérieures, nid, enveloppe, frontière et mémoires.
Présence et absence, figuration et abstraction, suggestion et exposition, passé et présent, mort et vie sont liés par la matière et se conjuguent au même temps.
Le corps demeure le fil conducteur subtil, le lien intime avec soi-même et avec l’autre, avec tous les autres, dans un cycle vital ininterrompu.
Cycle de vie et d’enfantement, les plis, creux et rides sont aussi un regard porté sur la beauté tragique du drapé couvrant le corps inerte devenu sans vie.
La matière recouvre le corps, le saisit et l’enveloppe, le ramenant à la terre, à sa dégradation et sa disparition.
Les tonalités froides du développement argentique comme de l’aluminium brossé renforcent l’aspect mortuaire du sujet des images, rappelant que « c’est quand la vie et la mort se tiennent la main que l’histoire peut continuer » *.
Les deux séries photographiques retraçant les cycles de la vie et de la mort racontent ainsi un lien transgénérationnel inscrit au plus profond des gènes et restitué par le cliché… comme si une présence intime et invisible était cryptée au coeur même de l’image et au fond des mémoires, celle du « regardeur » et celle des cellules liant la mère et la fille au-delà même du lien artistique.
* Delphine Horvilleur, « Vivre avec nos morts ».






© Textes : Lorraine Thiria. Photographies : Lorraine Thiria et Sarah Ringrave/All rights reserved
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